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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/114

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

quilles destinées à succomber d’un coup, sous le tour élégant de la main du joueur ; elles se renversent l’une l’autre, ce qui peut se dire, au figuré, de leurs scrupules ou de l’exemple qu’elles se donnent entre elles. Les goûts d’Alvan l’avaient conduit sur les voies du succès, et la faible résistance qu’il y avait rencontrée l’avait confirmé dans son opinion sur le sexe. Son axiome favori, c’est qu’il fallait tout mettre en jeu pour rendre favorable une première impression ; après ce chiffre initial, disait-il, tous vos zéros feront, aux yeux des femmes, des centaines, des mille et des millions ; quant aux plus nobles vertus, ce sont de pâles unités. Il eût, comme le premier Philistin venu, regardé avec des yeux ronds qui lui eût prédit l’aptitude des femmes à devenir émules des hommes dans la lutte contre le monde. Les femmes, à son sens, devaient faire l’objet d’une poursuite, délassement du politicien analogue à la joie du chasseur, plaisir aigu du poursuivant et de la poursuivie, pimenté par la perspective d’une proche fin de jeu. Il savait apprécier les sentiments des femmes au moment de la poursuite et de la chute, voire un moment encore, mais le changement survenu dans ses propres émotions le rendait inapte à toute communion sincère. État d’esprit commun aux habitués des voies du succès. Pour le moment, il songeait à se marier, et approuva cordialement l’épître à la baronne.

— Il me semble que c’est une lettre fort aimable, et à coup sûr assez humble, opina Clotilde.

— Oui, oui ! admit-il ; elle sait déjà, d’ailleurs, que cette affaire me touche fort.

Voilà pour la baronne.

Puis ce fut l’adieu. Une séparation qui n’est