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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/113

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

mère que je veux vous prendre, parmi les souhaits de vos amis. C’est ainsi qu’il sied de présenter au monde la femme d’Alvan.

La lettre de Clotilde à la baronne fut rédigée, approuvée, expédiée. À un œil froid elle eût semblé plus hypocrite qu’elle n’était en réalité. Une lettre de ce genre, s’il faut l’écrire, emprunte forcément le langage des impulsions mises en jeu pour sa rédaction, et un tel langage, facile à exagérer, peut paraître en discordance avec la situation. Le rédacteur doit se méfier, même s’il est sûr que ses paroles rendent une image fidèle et bien tournée de ses sentiments. À vrai dire, mieux vaut toujours, pour l’étoile qui monte, ne pas s’adresser à l’astre déclinant. Elle peut à peine hasarder un mot qui ne risque de causer une blessure cruelle. Le seul fait d’écrire semble une insulte à l’âge de la correspondante ; on n’écrirait pas à une rivale plus jeune. Si elle parle d’amitié, elle s’attache à de puériles niaiseries ! Le bonheur ingénu qu’elle proclame, pour faire plaisir à la noble sacrifiée, va soulever dans un cœur féminin des vagues tumultueuses. L’affirmation de son amour suggérera des comparaisons avec une souffrance profonde, une souffrance horrible et longuement subie. La lettre de l’astre ascendant semble impliquer que tout sentiment est mort dans l’étoile abandonnée, alors que sa lecture va réveiller ce sentiment dans ce qu’il a de plus aigu, et provoquer en même temps du mépris pour une aussi niaise affectation d’innocence.

L’intelligence du cœur féminin ne faisait pas partie des dons les plus brillants d’Alvan. Il était trop robuste, il avait eu trop de succès. Pour l’homme à bonnes fortunes, les femmes sont des