Aller au contenu

Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

encourraient seuls la responsabilité. Pourquoi admettre l’idée du malheur ? Il lui revint à la mémoire une prophétie que, mi-plaisant, mi-sérieux, il faisait autrefois à ses amis : « Je ne passerai pas la quarantième année. » Ce souvenir lui traversa l’esprit sans l’assombrir. Voyez le téméraire prophète ! Il allait se marier ! Et sa brillante fiancée n’avait rien d’un squelette, d’une ombre pâle, ou d’un arbre rongé de lichen. La fiancée de cette quarantaine fatidique, ce n’était pas la Mort, amis, mais la vie. Le mouvement fit-il jamais avec l’immobilité plus saisissant contraste ? La chevelure de Clotilde suffisait à rendre un frémissement de vie aux ombres glacées, à illuminer de soleil les régions souterraines. Son seul souvenir jetait le désarroi dans le royaume des miasmes empoisonnés, et chassait l’image du doigt phosphorescent et immobile, du doigt en crochet qui nous lance éternellement cet appel : « Viens. »

Songer à sa fiancée printanière, en face des Alpes neigeuses qui faisaient devant ses yeux un jardin céleste au soleil couchant, cela parut à Alvan le suprême degré des joies humaines. Il s’étonna d’avoir pu différer si longtemps, — depuis leur première rencontre, — la conquête de Clotilde, et s’avisa que, comme elle, mais plus ardemment encore, il vivait uniquement dans la minute présente. Cette lutte incessante qu’est la politique l’avait distrait, sans doute, de tout autre souci. La politique, c’est la poussière des combats quand s’est abattue la belliqueuse ardeur ; l’amour, c’est la conquête qui suit la victoire. Alvan était, pour l’heure, un fiancé pour qui les Alpes roses déployaient une perspective d’infinies félicités. Son amour ins-