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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/153

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

et moi, moi seul, je la connais ; moi seul, je puis la défendre, toute faible, toute vile, toute superficielle, toute capricieuse et traîtresse qu’elle soit ! s’écria Alvan, déchaîné contre elle par un nouvel orage. Hier, il y a deux jours à peine, — que dis-je ? tout à l’heure ! — elle était à moi ; elle me le jurait, ici-même, dans cette pièce ; elle se donnait… Et maintenant !… Il se radoucit, se redressa et accusa Tresten de calomnier Clotilde. Dites d’elle ce que vous pouvez imaginer de pis, vous ne m’empêcherez pas d’en faire la sans pareille. Oui, c’est sérieux, je ne rêve pas ; j’en ferai… Oh ! Dieu ! elle a tourné casaque ; je l’en sentais capable. Il y a trois quarts de bête en elle pour un quart de déesse ; seule, traquée, loin de moi, elle se révèle bête tout entière, et bête lâchement prostrée, elle qui, sous mon aile, devient la plus noble et la plus brave. Vous ne comprenez pas, Tresten ? Qui pourrait se vanter de comprendre les femmes ? Vous la détestez. Vous avez tort. C’est une énigme, mais pas plus indéchiffrable que les autres. Elle me trahit, dites-vous ? Elle l’a écrit. Bah ! que n’écrirait-elle pas ? De cette femme vile entre toutes, je ferai la plus enviable, la plus… Clotilde !

La vue de la signature de Clotilde au bas de la lettre fatale l’atterrait et lui arrachait ce cri. Elle avait donc fait cela ; elle avait écrit son nom sous cette renonciation. L’idée d’un tel crime lui était insupportable, et pour apaiser ses tortures, ce n’était pas assez d’une victime. C’est le sexe tout entier qu’il vouait à la mort. Alvan tonna contre la femme, la femme, cet être pervers d’autrefois ; en elle sa fureur ne voulait plus connaître Clotilde, bien que ce fût ce nom qui l’eût soulevée, et que la