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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/155

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Tresten, — pour cette femme, j’aurais sacrifié vie, fortune, devoir, avenir, immortalité. Elle le savait, et elle… voyez !…

Il déplia la lettre avec précaution, pour la relire, puis la roula en boule.

— Elle a signé son nom, signé son nom, son nom ! Dieu du ciel ! D’une sainte on se refuserait à croire cela : elle a mis son nom au bas de cette putasserie ! Voyez ! Clotilde de Rüdiger ! C’est bien son écriture ; c’est sa signature : Clotilde en toutes lettres. Vous n’auriez pas imaginé cela, hein ! Mais voyez|

Devant les yeux battants du colonel, Alvan souligna de l’ongle le nom de la jeune fille.

— Vous voyez, Clotilde, sans plus de vergogne qu’elle eût écrit à une de ses amies pour lui parler de chapeaux, de danse ou de roman. Étrangers, à l’avenir, elle et moi !

Son rire, même à Tresten, homme des camps, parut profane comme un cri sous une voûte de cathédrale.

— Quand je pense que cette femme a été dans mes mains, que je l’ai épargnée et laissée échapper, que j’ai sué sang et eau et saccagé le code pour lui rendre hommage et l’honorer autant que mortelle puisse l’être ! Et nous voici étrangers. Vous entendez,… Tresten ? Ah ! si vous l’aviez vue ici ! si vous l’aviez vue ici ! elle était éperdue, et moi, l’homme qu’elle perce maintenant de ses flèches glacées, je contenais sous un triple verrou l’enfer qui se déchaînait en moi ; j’ai fait pis : je crains d’avoir brisé le cœur d’une femme merveilleuse, pour couper court à l’avance à toute calomnie, pour désarmer la médisance, pour qu’aucune accusation fortuite