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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/167

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

mots de plus font surgir Alvan de son déguisement et la vision est si nette pour Clotilde qu’elle se demande si elle lui avouera qu’elle l’avait deviné sous la robe sacerdotale. « Comment auriez-vous voulu autrement qu’une fille non catholique vînt s’agenouiller ici ? » Et peu nous importent les douceurs qu’il lui prodigue en réponse.

Ainsi la vivacité de son imagination fournissait-elle un dérivatif aux chagrins de Clotilde, tandis qu’assise à sa fenêtre, elle contemplait, par-dessus la vallée, le flanc de la montagne que sillonne, à l’automne, le flot montant et descendant des touristes. Elle avait cessé de pleurer, ayant, à force de pleurs, perdu la couleur de ses yeux et la consolation des larmes. Vêtue de noir des pieds à la tête, elle attendait l’arrivée de son amie fantôme, la baronne, cet ange qui avait donné la mesure de son cœur en consentant à être l’amie de la fiancée d’Alvan, parce qu’elle était elle-même la véritable amie d’Alvan ! Que ce fût là une médiocre façon de prouver sa bonté, Clotilde n’y songeait pas. Elle le voulait ainsi.

Les cimes des montagnes se nimbaient d’un poudroiement de soleil. Jour après jour, Clotilde avait considéré leur profil nettement découpé sur un ciel sourcilleux et propice aux tempêtes. Elle regarda le jardin de la maison, désert livré aux abeilles et aux papillons. De l’autre côté du mur, sur la route éblouissante, elle aperçut son père, et, près de lui, un jeune homme dont la vue ne fit pas monter la moindre rougeur à ses joues, n’imprima point à son cœur un battement de plus. Elle le plaignait pourtant, le pauvre garçon, mais il lui était parfaitement, absolument inutile.