Aller au contenu

Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
165
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

position qu’il lui fit, ressortissait à l’une de ces impulsions frénétiques d’un cœur haut placé.

— Je vois : on vous a torturée. Je vous connais si bien, Clotilde ! Alors, venez à moi ; venez avec moi ; laissez-moi vous adorer. Je vous emmènerai ; je vous soustrairai aux vôtres, et si décidément vous voulez voir Alvan, c’est moi qui vous conduirai à lui pour vous faire choisir entre nous deux.

Générosité manifeste, et qui pouvait pourtant laisser place au soupçon chez une jeune femme consciente des possibilités d’une telle perspective. La dangereuse émotion de gratitude qui l’attendrissait à l’endroit de Marko lui fit suspecter l’espoir vil qui pouvait se dissimuler sous cette proposition.

Elle aussi, elle avait un espoir vil ; un espoir ardent, un espoir qui sombrait, qui s’acharna contre celui de Marko pour apaiser, aux dépens d’une faiblesse désarmée, son exaspération d’une longue attente.

Elle se leva vivement :

— Soit : prenez-moi si vous voulez | Que m’importe ? Prenez ce gant ; il a la forme de ma main et contient autant de moi que ce que je vous donnerai. Ma vie est finie. Vous ou un autre ! Mais écoutez bien le serment que je fais. Je vous le jure : où que je rencontre Alvan, j’irai droit à lui, quand je devrais, pour cela, vous passer sur le corps, à vous tous que je verrais morts sous mes pas.

L’incrédulité horrifiée qu’elle vit poindre dans les grands yeux noirs de Marko fouetta son imagination féroce :

— Ah ! quelle joie ! Quelle joie de vous voir tous morts, pour pouvoir, sans encombre, enjamber