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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/186

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

ment conclure à l’avenir. Comment douter ? Il menait le combat de la raison. Au doute stérilisant il opposait les Livres et la Loi ; il assiégeait l’Église et l’État, citait les textes qui autorisaient Clotilde à choisir son seigneur et maître, exprimait par son interprétation précise de la loi, son amour passionné. Et malgré tout, il ne pouvait empêcher une froide lucidité de glacer le torrent tumultueux de son sang et de sa claire intelligence : il sentait qu’elle était réellement ce qu’il avait dit, en des moments de tendre badinage : fuyante comme un serpent, tortueuse comme une piste de lièvre, et la crainte lui venait qu’elle finît par lui couler entre les mains, par le trahir, le renier, le tourner en ridicule, après qu’il se serait, par-dessus toutes les barrières, frayé un chemin jusqu’à elle. Au plus fort de son exaltation, à l’heure même où l’idée du succès faisait étinceler ses yeux, il sentait, au tréfond de son cœur, une morsure douloureuse.

Mais si elle était lièvre, il était chasseur, et peu disposé, maintenant, à chercher dans la chasse un simple passe-temps. Elle avait éveillé en lui la passion du Nemrod aussi bien que celle de l’homme ; il entendait la forcer, sans plus de vergogne que les chasseurs d’autrefois qui chassaient pour tuer et pour manger, sans avoir recours à nos modernes prudences pour cerner, prendre au piège et saisir par surprise le gibier en gardant sa robe de toute souillure. Il saurait l’attirer hors de sa maison, l’y arracher de force, la déshonorer même, si elle se montrait rétive, pour qu’elle dépendît entièrement de l’homme qui se baisserait pour la relever. Il était prêt à souscrire aux plans les plus infâmes, tant le harassait de frénétique peine la pensée de la