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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/19

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

enfant souple et docile qu’il était, brûlant de lui plaire et ravi de lui obéir, pouvait-il être le vaillant qui lutterait avec elle, qui la terrasserait et la tiendrait dans ses liens ? Comment rêver en lui un Siegfried ou attendre de lui un fils de Siegfried à bercer dans ses bras ? Elle se fit une glorieuse image de la femme capable de repousser le prince et son rival, et conclut que dédaigneuse d’un Adonis, et victorieuse d’un séducteur fameux, cette femme avait fait montre de décision et d’indépendance, et d’une force de caractère peut-être sans exemple. Une supériorité spirituelle qui la faisait planer au-dessus de ces deux hommes, — du méchant, en raison de sa vilenie, du bon, à cause de sa faiblesse, — lui donnait le sentiment de mériter, peut-être de pouvoir un jour captiver le meilleur de tous, le meilleur, s’entend, au point de vue féminin, c’est-à-dire le plus fort, le grand aigle parmi les hommes, le maître de la terre et de l’air.

« Celui qui me dominera », disait-elle.

Une jeune fille à l’intelligence vive et au charme séducteur qui vient à se croire douée de force de caractère, n’a pas de peine à ranger le monde à son avis, et pourvu que ses prétentions ne heurtent pas de front leurs habitudes d’esprit, ses parents sont les premiers à faire chorus avec elle et à consolider une opinion prête à prendre racine au moindre soupçon d’approbation. Le père de Clotilde, vieux général goutteux, passé de l’infanterie dans les services diplomatiques, répugnait à d’inutiles discussions qui soulevaient en lui des colères véhémentes. Sa mère, ancienne beauté de son cercle, demandait à l’art de la conversation un vestige dernier de suprématie, pour ne pas s’éclipser tout