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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/20

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

à fait dans les murs. Ses frères et sœurs n’étaient pas d’âge à lui disputer la première place.

Influencé par l’état de la politique, l’esprit de la société de cette époque était révolutionnaire. Démocrates hardis, les jeunes gens laissaient entendre à leurs aînés que le temps était venu de leur céder la place, tandis que les vieux, bouche bée devant une impudence brouillonne, prenaient la mine ahurie et fréquente dans les fastes de l’histoire, du conservateur dépouillé dont la stupeur paralyse la rage.

Clotilde usait avec tact de la liberté qu’elle exigeait et la dépensait plus en exubérances verbales qu’en caprices de conduite. Si elle ne gardait pas toujours une parfaite maîtrise de sa langue, c’est qu’elle recherchait de préférence la conversation des hommes pour discuter toutes les affaires et les complications humaines, et qu’ils l’encourageaient avec cette admiration souriante qui pousse vers les sables mouvants l’aventureux causeur. Reconnue dans son monde et partout réputée pour une originale, de l’Allemagne à l’Italie et dans le Midi de la France, elle prenait mieux conscience chaque jour de cette glaciale solitude qui est l’apanage des âmes haut placées. Son Bacchus Indien, comme un savant professeur avait appelé le prince Marko, était un enfant chéri et non un compagnon. Pour lui, au contraire, elle était ce qu’elle cherchait en un autre. Autant elle se jugeait à plaindre de n’avoir pas rencontré l’homme prédestiné, autant elle le plaignait d’avoir trouvé la femme, et ce double apitoiement la poussait parfois à des démonstrations chaleureuses, évocations d’une tendresse qu’elle déplorait en secret de ne point ressentir. Car elle savait reconnaître qu’il est plus douloureux de