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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/190

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

ginal. Il fut pourtant un jour, à l’aurore de son âge, où dénuée de moustaches, vierge au teint clair et favori des jeunes pudeurs, elle défiait les ans qui allaient abîmer sa poitrine et durcir son visage. Rude artiste que le Temps : à son contact sans douceur, peut-être la victime se révolta-t-elle et ébaucha-t-elle son premier geste viril. De haute naissance et d’éducation parfaite, indignement traitée par son mari, la baronne Lucie avait une tête d’homme. Elle savait inspirer des amitiés viriles et les conserver. Portée au radicalisme, elle professait hautement des opinions avancées et correspondait avec les chefs révolutionnaires ; elle était la conseillère écoutée et l’esclave soumise de l’homme à qui elle prédisait une carrière à la hauteur de son génie. Concernant leurs relations primitives, la rumeur publique avait soufflé la chandelle et laissé fumer la mèche. Les Philistins usaient pour se venger de la vieille aristocrate radicale et du démagogue Juif, de l’arme que la médisance prête à la vertu. Ils sont vertueux ou ils ne sont pas, et force leur est de prouver qu’ils le sont, chaque fois qu’ils le peuvent. Or, est-il meilleure façon de le prouver que de salir publiquement l’amitié d’un homme et d’une femme ? Que leur méchanceté soit gratuite, peu leur chaut : ce qu’ils redoutent par-dessus tout, c’est de faire figure d’imbéciles, en se laissant prendre aux apparences.

La baronne état au courant des derniers événements ; elle n’avait rien à se reprocher comme elle l’affirmait, et pouvait cependant à peine ouvrir la bouche sans se disculper.

— C’est sur moi que tout va retomber, affirmait-elle à Tresten, d’un ton pénétré. Il aura son entrevue