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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/191

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

avec cette fille ; il la subjuguera et s’empêtrera dans les chaînes dont il prétend la charger. Elle ne laissera pas échapper l’occasion. Elle me déteste, et c’est moi qui ferai le prix de leur réconciliation. Elle sera trop heureuse de me vilipender, et je serai condamnée par un de ces conseils de guerre qui précipitent les formalités du jugement pour signer l’arrêt de mort, seul acte de justice à leurs yeux. Vous verrez. Elle ne me pardonne pas de n’avoir pas feint de partager son prétendu enthousiasme. Elle lui persuadera que j’ai intrigué contre elle. Grand ou petit, l’homme est un jouet entre les mains de sa maîtresse et place sa tête sous le talon de la femme. Que n’ai-je pas fait pour l’aider ? À sa requête, j’ai été trouver l’archevêque ; j’ai imploré l’appui d’un des princes de l’Église. Oui, je me suis agenouillée devant un homme d’Église, humiliation ridicule, farce dont je savais à l’avance l’inutilité. Je cédais à son désir. L’histoire peut faire rire : je lui ai obéi. Je ne voulais pas que ma conscience me reprochât un jour d’avoir négligé aucune démarche, quelque étrange qu’elle pût être, en faveur d’Alvan. Vous m’êtes témoin, Tresten, que devant la moindre jouvencelle de vulgaire loyauté, j’aurais avec joie plié armes et bagages. Les qualités d’esprit ! À quoi bon en parler ? C’est le mariage qui l’attirait. Une fille simplement honnête, il eût pu ne pas s’en mal accommoder, au contraire. Elle lui aurait rogné les griffes. Mais celle-là, qui est-ce ? Celle précisément que son goût devait lui faire élire : une fille de Philistins, naturellement, et entre toutes faite pour le confondre après le mariage comme elle s’est jouée de lui avant. Il n’a jamais compris les femmes : il n’entend rien à leur caractère.