Aller au contenu

Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Est-ce qu’une fille de cette espèce saurait seulement garder un secret ? C’est une Cressida, traître à tous les partis. Pas la moindre idée de la cause à laquelle il s’est consacré ; pas le moindre sentiment en harmonie avec elle. Plus vile que toutes les belles d’amour berlinoises à la veille d’Iéna. Ferme comme une danseuse viennoise, retour de Mariazell ! Voilà la fille, telle que le monde entier la voit. Mais il a le cœur pris ; il la veut. Moi, mon rôle sera d’essuyer les impertinences de la donzelle ou de donner ma démission et de renoncer à servir la cause, au moins en collaboration avec Alvan. Et comment faire autrement ? Il est l’âme de notre parti, et moi, sans lui, je ne suis bonne à rien.

Tresten fit un geste de protestation.

— Vous exagérez, fit-il, avec ce sourire encourageant qui engage un ami à chasser des pensées moroses. Entre vous deux, si l’on peut vous concevoir séparés, c’est lui dont nous nous passerions le plus facilement. Elle lui glissera entre les doigts ; c’est une anguille que cette fille-là. Et encore, les anguilles j’en ai vues s’enrouler sur la dent de la fourche qui les transperce, mais elle, c’est une cabotine, essentiellement glissante, sans la force d’une étreinte sincère ou même d’une franche contraction de muscles. Traître à tous les partis, et de tous les partis, comme vous dites. Elle ne valait pas la peine d’être conquise. J’ai consenti à tenter la chance, pour calmer Alvan. En matière d’amitié, son dévouement ne connaît pas de bornes, et force nous est de nous conformer à son exemple. Ah ! quel absurde amour !

— Amour de Titan ! gémit la baronne. Cette femme !… Pour la conquérir, il ne regardera ni aux