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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/199

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

minute… à supposer seulement qu’elle consente à vous voir seul, dit la baronne.

Alvan ouvrit de grands yeux. Sa profonde sagacité lui faisait percevoir la femme sous cette innocente remarque.

— Vous connaîtrez Clotilde un jour, rétorqua-t-il Tout l’attire droit vers moi, mais quand on remue la boussole, l’aiguille tremble, n’est-ce pas ? Vaisseau fragile, je vous l’accorde, mais sûr instinct. En douter, ce serait douter de mon jugement. À trois reprises, j’ai pu contrôler la puissance que j’exerce sur elle et chaque fois, chose curieuse, en proportion de mon propre degré de résolution, — en proportion exacte, baronne, et pesée au grain près. Chaque fois, elle a répondu à mon ardeur par un égal degré d’ardeur. Selon que je faiblissais, elle faiblissait, que je m’échauffais, elle s’échauffait aussi ; de tiède étincelle elle se faisait fournaise embrasée.

— Les rayons se réfléchissent suivant l’élévation de l’astre, acquiesça la baronne, et elle sourit en elle-même de l’état moral de l’homme qui pouvait sans étonnement supporter un tel trait.

Alvan ne se récria pas : seule une crispation furtive fronça ses sourcils, comme s’il eût senti un goût fâcheux sur sa langue et il protesta, avec quelque vivacité, contre un abus des métaphores qu’il jugeait désastreux pour le langage. La baronne s’abstint de lui rappeler qu’il ne craignait pas lui-même l’usage des métaphores, quand elles servaient son dessein.

— De quelle merveilleuse façon, merveilleuse ! s’écria Alvan, cette enfant obéissait à mon influence ! Et demain, — vous conviendrez que j’ai