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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/209

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

XV

Il dormit. Vers le matin, il retrouva en lui le même sentiment de tendresse, toujours aussi fort, mais silencieux au réveil comme il avait été sans rêves durant le sommeil. C’était un poids joyeux sur son cœur, une vie nouvelle qui voulait venir au jour et à laquelle la présence d’une femme à son côté allait donner une voix. Elle partagerait, puisqu’elle les aurait fait naître, ses mille pensées fugitives qui tombaient actuellement sur un sol stérile, faute d’un cœur chaleureux pour les inspirer, pour les accueillir, pour les vivifier. La poésie s’emparait d’Alvan : son appétit d’épouse, d’enfants, de renom d’honnête citoyen — ces modestes ambitions d’un civilisé, si terre à terre et si filles de la terre, — se trouvaient en même temps amplifiées au-delà de toute expression, élargies en vastes images, en emblèmes pareils à des cirques de nuages olympiens qui auraient contenu tout l’azur du ciel. Il saurait déchiffrer, manier tous les emblèmes quand elle serait près de lui. Ma femme : ce mot, entre tous banal, lui semblait pourtant le plus représentatif du secret poursuivi par l’homme, le plus gonflé à la fois de suc et de mystère, ou de