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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/210

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

cette lumière placée au cœur du mystère pour lui donner une magnifique fécondité. C’est que derrière le mot il sentait la présence de Clotilde. Pourtant, dans cet état intermédiaire à la veille et au sommeil, les sensations délicates qui suscitaient en lui ces pensées confuses n’osaient pas évoquer l’image de la femme qui les avait heurtées, et pour prolonger jusqu’à l’ultime minute cet instant de voluptueuse quiétude, un sage instinct la laissait voilée. Mais ce voile tomberait bientôt, adorablement ; il verrait sa femme tout entière, elle, la seule, l’unique. Il connaissait assez la nuée qu’il étreignait sous le nom de Clotilde pour prendre la peine de repousser l’idée d’en venir jamais à l’exécrer. Oh ! la seule compagne, la femme unique, rédemptrice du possédé, la vallée fraîche et plantureuse, le lit de la rivière où coulerait dorénavant son existence. Douter d’elle au moindre degré, c’était douter qu’elle fût humaine. C’est le cerveau, le cerveau satanique qui s’efforce toujours à jeter une ombre sur les choses ; le cœur est plus clair et plus sincère.

Il multipliait les images, animait ses visions, se pelotonnait dans son émoi pour endormir et étourdir son intelligence. Il voulait voir, dans la splendeur d’un jour qui déroulait devant lui toute la chaîne radieuse des cimes célestes, une marque de la bienveillance divine à son endroit. Puis soudain, avec une obscure vergogne pour la petitesse de la chose qu’il implorait et exaltait, il s’adressait à sa raison pour lui peindre le bonheur qui serait sien avant la nuit, et il se disait avec calme qu’il y aurait eu folie à croire une déception possible ; il demandait si peu ! Demandant si peu, il ne pouvait, sans déraison, supposer que sa prière pût