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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/234

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

— Quant à la jeune personne, Alvan a tous droits à l’insulter et à faire connaître partout son infamie. Quelle raison, au surplus, peut-on attendre d’un homme affolé ? En pareille occurrence, on ne considère pas les menues infractions à l’étiquette. Avec le nom qu’elle mérite, dites-vous ? Il lui a jeté à la face le mot caractéristique ? il lui a dit ce qu’elle était ?

La baronne aurait entendu le mot sans sourciller ; elle ignorait la terreur féminine de l’épithète infamante adressée à son sexe. Mais le colonel, qui savait la distance du salon au corps de garde, se contenta de dire qu’Alvan avait lancé contre la jeune fille un mot flétrissant comme une encre de seiche. Et il ajouta :

— C’est un bain très noir pour elle, et ils feront bien de garder la chose pour eux. Imputation regrettable, à coup sûr, mais probablement fondée. D’ailleurs, il est hors de lui ; il y aurait danger à vouloir le retenir ; il contraindrait à se battre son meilleur ami. Leczel est près de lui et lui lâche la bride. Maintenant, il faut que j’aille le retrouver, car il pourrait avoir besoin de moi.

La baronne ne croyait pas la chose probable ; elle espérait que le rideau allait tomber sur cette explosion d’Alvan.

Mais Tresten lui fit part de ses appréhensions. Il connaissait la teneur de la lettre et savait qu’une copie intégrale, sans la moindre expurgation de syllabes infamantes, en avait été adressée au prince Marko. Il fallait patienter quelques heures. La baronne se laissa arracher une promesse de calme. Il lui semblait que puisqu’Alvan avait rompu avec l’odieuse fille, le pis était passé.

Il en avait fini avec cette fille ; c’était la seule