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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/235

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

chose qui comptait. Le nuage qui avait obscurci son ciel se dissipait et il allait redevenir l’homme qu’elle admirait et dont elle attendait tant. Le degré d’abaissement de son héros, elle en trouvait la mesure dans l’éphémère mépris dont elle n’avait pas eu conscience quand elle le voyait se débattre dans les rets de son amour, et qu’elle sentait maintenant s’émousser devant le paroxysme de sa démence. On pouvait ne point trop déplorer, au nom de son résultat, sinon dans ses manifestations, un scandaleux accès de folie qui promettait de dénouer une passion fatale. Des femmes, songeait l’amie au grand cœur, il en trouverait cinquante, cent, des centaines, quand il voudrait se marier. Quant à celle qui avait aspiré à être sa compagne, ses prétentions étaient brisées par l’épithète méritée qu’on venait de lui asséner. Le mot, que la baronne devinait, était bien le gouffre infranchissable, l’incurable blessure. Il donnait, du même coup, son vrai nom à la fille, et une certitude du retour d’Alvan à la raison. Car il avait atteint au sommet de la folie : il avait jeté l’anathème contre son amour, trahi avec éclat la frénésie et la colère furieuse déchaînées dans les recoins les plus sensibles de son être par l’attitude méprisante de Clotilde. L’homme qui a lâché de telles paroles n’a plus qu’à recouvrer sa raison où à mourir. Ainsi raisonnait la baronne. Elle n’éprouvait pas une excessive curiosité de savoir comment les Rüdiger avaient pris l’insulte qu’ils s’étaient attirée et se résignait à attendre, pour revoir Alvan, qu’il se fût calmé. Elle comprenait que sa vanité, saignée à blanc, ne saurait point user de politesse envers le chirurgien, avant le troisième ou quatrième pansement.