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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/240

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

qu’il retrouvât, jusqu’au dernier vestige, les objets par lui réclamés ! Les avait-il vraiment jamais réclamés ? Elle inclinait à douter de tout ce qui s’était fait et dit depuis leur séparation. Si elle avait pu seulement, en un de ses portraits, le revoir tel qu’il était avant leur mésentente, l’image fixée par le soleil ne pourrait la tromper comme les fantaisies de son imagination ; en le revoyant tel qu’elle l’avait connu, elle ferait revivre l’heure de leur rencontre et sentirait du même coup comment il vivait et pensait maintenant. Ainsi songeait Clotilde, toute à son effort pour rendre à Alvan sa place dans le cœur qu’il venait de frapper, après le coup qui avait fait de lui un quasi inconnu, comme un dieu qui aurait pris forme et esprit d’homme.

Après Alvan, nul ne pouvait être mieux venu de Clotilde que Marko. Le jeune homme vint la saluer dans la soirée : ses grands yeux noirs brillaient, et il se mit à murmurer des paroles confuses : séparation, adieu. Elle l’interrompit vivement : elle était lasse des mystères et c’était déjà trop que d’un. Qu’avait-il à lui dire ? Elle lui tendit la main, en manière d’encouragement, et se fit tout attention. Mais ce fut bientôt sa main à elle dont l’étreinte se resserra : elle le pressait de questions incrédules et sentait son intelligence hésiter devant ce qu’avait déjà deviné son instinct. Ou peut-être son instinct redoutable faisait-il fuser dans sa tête des clartés dont les révélations étaient trop intelligibles pour ses yeux. Quand notre être profond s’illumine ainsi en nous et qu’espoir, convoitises ou terreurs en éveillent les vils appétits, nous crions à la diablerie, et nous faisons appel, pour la désavouer, à notre cerveau de civilisé. L’étreinte fébrile de la