Aller au contenu

Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

changement magique que pouvait amener l’événement. Elle caressait le jeune homme avec horreur pour elle-même et horreur plus grande pour parents et amis qui avaient fini par la contraindre à souhaiter quelque terrible issue, pour échapper à son sort. La coupable, ce n’était pas elle, mais bien la situation qu’ils avaient créée. Mais quand elle eut bien dénoncé leur cruauté, elle sentit se réveiller sa conscience, et avec elle la compassion :

— Marko, Marko ! mon pauvre enfant ! Il est impossible que vous vous battiez, Vous n’avez jamais, de votre vie, touché épée ou pistolet. Vous n’avez jamais eu la vigueur nécessaire pour ces jeux virils, et vous ne sauriez même pas presser uns gâchette en visant.

— Je me suis exercé deux heures aujourd’hui, répondit-il.

Elle frémit de pitié.

— Deux heures. Mon pauvre garçon ! Vous ne savez donc pas qu’il ne manque jamais le but. Tout le monde parle de son adresse. Le duel, à l’épée ou au pistolet, il en connaît tous les tours, et c’est ce qui le faisait respecter, chaque fois qu’il repoussait un cartel, avant que mes parents ne l’aient forcé… mes parents et moi. Il faut que nous soyons fous tous les deux. Lui qui méprisait tant le duel ! Lui, lui, Alvan ! avoir provoqué mon père. Il me parlait du duel comme d’une lâcheté. Qu’est-il donc, maintenant, qu’a-t-on fait de lui ? Ce serait une lâcheté, en effet, que de vous tuer, Marko,

— J’en courrai la chance, fit le jeune homme,

— La chance ! Mais vous n’en avez aucune. Il ne manque jamais son coup ! Clotilde insistait sur la redoutable adresse d’Alvan, et s’y appesantissait