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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/243

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

avec une ardeur passionnée, sans que sa conscience pût pourtant lui faire de reproches, puisque c’était détourner le jeune homme de s’exposer au coup fatal.

— S’il vous voit en face de lui, il ne vous épargnera pas, je le crois, du moins ; j’ai tout lieu de le croire d’après ce que je sais de lui maintenant. C’est un homme terrible quand la colère le prend. En tout autre cas, je crois qu’il vous préviendrait, mais face à face ! et avec l’idée que vous lui barrez le chemin ! Trouvez quelque moyen de lui échapper, je vous en supplie. Au nom de votre amour pour moi ! Oh ! pas de sang ! Je ne veux pas vous perdre. C’est une idée que je ne supporterai pas.

— Vous me regretteriez ?

Leurs yeux se rencontrèrent, et devant la beauté des grands yeux sombres, la tendresse de Clotilde se laissa lire. La certitude d’une issue fatale lui causa une crispation d’angoisse. Elle se dit que ce cœur dévoué avait peut-être été prédestiné au sacrifice qui devait la rendre à Alvan. Elle n’en redoubla pas moins d’efforts, mais sa voix finit par se briser ; elle pleura de se sentir muette et s’en prit à la Providence et aux siens ; elle retrouva, pour vitupérer contre eux, un son de voix moins misérable ; elle sentait pourtant en elle une chaleur que ne contentaient pas les cris de colère, mais sa voix se refusait aux nuances de tendresse. Elle se consola en songeant que nulles paroles n’eussent pu fidèlement traduire ses sentiments. Au surplus, son bon sens pratique ne pouvait qu’approuver Marko quand il affirmait, au nom des usages de leur monde, l’impossibilité pour lui de fuir un duel accepté, voire d’en accueillir l’idée. C’était la destinée. Clotide laissa