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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/248

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Comment croire en une Providence capable de laisser un chétif avorton abattre le plus magnifique géant de la terre ?

Vous — lui ? fit-elle, avec une expression formidable de dédain.

Elle rit. Le monde était sens dessus dessous ; monde sans lumière, sans directions, sans tendresse pour ses favoris, monde privé de toute sagesse profonde et rassurante, monde dément, cadavre de monde, si une telle chose était vraie.

Mais on pouvait encore n’y pas croire.

Marko se tenait devant elle, la tête basse, et elle le congédia avec un « Laissez-moi ! » d’horreur. Le jeune homme se sentait la conscience trop lourde pour s’attarder. Sa façon de se retirer frappa Clotilde au cœur.

Était-ce croyable ? Pouvait-on imaginer un Alvan blessé ; le géant couché à terre, entre les mains des chirurgiens ? Ridicule jeté à toutes les prévisions. Clotilde ne parvenait pas à se le représenter et ne ressentait plus en elle qu’engourdissement et torpeur. Si c’était vrai ?

Mais on pouvait résolument n’y pas croire.

Nous donnons volontiers, en pareil cas, le choix à la Providence de se laver d’un tel forfait ou d’en subir les conséquences, en renonçant pour toujours à notre culte, à notre foi et à notre respect secret. Clotilde entendit confirmer le récit de Marko, chuchoter des nouvelles sinistres, rapporter des verdicts de médecins, et elle douta encore. Elle s’attachait follement à son incrédulité. Le rire avait été tué en elle, mais non sa foi en l’invincibilité d’Alvan ; elle ne pouvait se le figurer vaincu dans une rencontre, et vaincu par une main qu’elle avait tenue