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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/247

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

la tête sur sa poitrine, de fermer les yeux dans un bonheur aveugle. Elle en poussa un sanglot de circonstance.

Une voiture, lancée à toute vitesse, s’arrêta devant la porte. Pareille allure ne pouvait être celle d’un convoi funèbre. C’était une visite de rencontre pour le général. Clotilde attendit un nouveau bruit de roues : il lui fallait de la patience et de la présence d’esprit.

Son émotion, prête à éclater, était rude à maîtriser. Des larmes s’accumulaient sous ses paupières à l’idée du chagrin qu’elle allait éprouver ou du moins qu’elle éprouverait plus tard, quand elle porterait le deuil de Marko. Elle n’osait dénombrer ses mérites, sachant par expérience le danger d’une telle émotion, et redoutant d’affaiblir en elle-même l’énergie requise pour le moment critique.

Des pas précipités gravissaient l’escalier ; la porte s’ouvrit et Marko parut, plus inattendu qu’un spectre sous cette forme de vivant. On lisait dans ses yeux l’espoir d’une démonstration de joie chez Clotilde ; il finit par lui demander si elle était heureuse de le revoir.

— Très heureuse, évidemment, répondit-elle. À vrai dire, elle était heureuse qu’Alvan eût pardonné au jeune homme sa témérité, mais désappointée par un événement qui contrariait son attente d’une confusion générale. Elle était dépitée, pétrifiée d’étonnement.

— Et si je vous disais qu’Alvan est blessé ? reprit Marko d’une voix grosse de larmes.

Clotilde raconte dans ses mémoires que cette question la fit rire. Elle ne se sentait pourtant aucun motif de rire. C’était le rire des comédiens tragiques.