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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/254

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

les excès d’un culte ne parviennent qu’à vulgariser le géant qu’on prétend honorer : la vérité qui exige de justes proportions se venge d’une image trop idéalisée en la faisant grimacer, et laisse aux juges sagaces le soin de rétablir la balance entre deux excès. Pas plus qu’un imbécile ou un fou, Alvan ne fut un dieu à adorer ; sa tentation suprême, l’assaillant avant que ne fût calmée l’ardeur de son sang, fit de lui, aux yeux de la multitude simpliste, un comédien tragique, c’est-à-dire un chasseur de chimères, un songe-creux, un de ces pitres lugubres, dont on n’ose pas rire, mais que l’on dévisage, pour démêler ce qui, dans leur personnage, détonne d’avec la vie, car si l’on en devait juger d’après leur histoire, la vie serait une chose démoniaque, sujette tour à tour à des crises de bouffonnerie et à des plongeons dans l’abîme. La masse de l’humanité relève uniquement de l’ordre comique ; rares sont les natures assez hautes et assez complexes pour que deux Muses aient besoin de s’unir sous leur nom.

Le cadavre était encore chaud dans la tombe que l’autre comédienne tragique, la pauvre Clotilde, dépassant, pour la stupeur de ses compatriotes, comédie et tragi-comédie, mettait sa main dans celle qui avait tué Alvan. À vrai dire, la chose n’est pas inexplicable, pour qui se rappelle son caractère. Marko était un doux enfant ; ses parents la poussaient au mariage ; on lui avait montré la lettre adressée par Alvan au général et l’insulte qui la salissait. Outrage hideux et folle provocation ! Comment blâmer le prince Marko ? Qui, plus que lui, eût donné des preuves de noble bravoure ? Il s’était dressé pour défendre le nom et la réputation de