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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Clotilde fut surprise et piquée de ce doute.

— Je ne le connais pourtant nullement ; je ne l’ai jamais rencontré, jamais aperçu, affirma-t-elle, je ne vois pas d’ailleurs où je pourrais me trouver avec un homme de cette sorte.

Elle s’indignait, mais grande fut sa stupeur, autant que sa joie secrète, d’entendre un noble de son propre monde, un brillant officier, s’écrier :

— Allons, allons ! un peu de sincérité ! Passe pour les moucherons qui voltigent autour de nous de parler ainsi d’Alvan, mais nous deux, nous pouvons nous donner la main et proclamer hautement que nous le connaissons et l’aimons.

— Si c’était vrai, je l’avouerais tout de suite, mais je vous répète qu’il m’est parfaitement inconnu, déclara Clotilde, qui commençait à voir le Juif sous un autre jour.

— Vous l’affirmez ?

— Parole d’honneur !

— Vous ne l’avez jamais rencontré, jamais vu ? Vous n’avez jamais lu aucun de ses écrits ?

— Jamais ; je connais son nom, voilà tout.

— Alors, fit d’un ton pénétré l’officier, je vous plains tous deux de rester séparés, car vous avez été faits l’un pour l’autre. Les idées que vous exprimiez tout à l’heure, et jusqu’aux termes dont vous usiez, je les ai entendus dans la bouche d’Alvan. Il a sur la société et l’histoire des vues personnelles identiques aux vôtres ; vos traits mêmes rappellent les siens ; vous parlez comme lui ; on croit reconnaître dans votre voix la sœur de la sienne. Vous ne le croyez pas ? Tenez : vous avez dit, en parlant de Pompée : « Le Pompée de Plutarque », et mieux ; — cela paraît incroyable à qui vous entend affirmer