Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

III

Postée à l’entrée du salon pour accueillir ses hôtes, la maîtresse du logis adressa à Clotilde un murmure et un signe de tête ; Alvan était arrivé et se trouvait là-bas. C’en était assez pour une jeune fille avisée, et quittant le sillage de sa compagne, Clotilde coula ses regards par une baie sans portes dans une pièce où trois hommes, adossés aux rayons d’une bibliothèque, fumaient en causant. Les bouffées de tabac rendaient leurs traits indistincts, mais Clotilde vit que l’un d’eux était de superbe stature. Dans le second, elle reconnut le maître de la maison, Juif adouci, et discerna du premier coup, dans la personne du troisième, les affreux stigmates de la race d’Assuérus. Il n’y avait pas à s’y tromper, et trois chapeaux superposés sur son crâne ne l’eussent pas plus clairement désigné. Les caricatures vengeresses du dieu Pan, exécutées et brûlées sous forme d’un diable velu à sabots et à groin, par les prêtres d’une religion qui voulait extirper son culte, n’étaient pas plus hideuses. Clotilde s’effondra sur un sofa. Tel était donc le héros de ses pensées. Oh ! Juif ! cinquante fois Juif et rien que Juif !