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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/35

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Les trois interlocuteurs passaient cependant dans le grand salon, et Clotilde put apprécier la beauté singulière de l’homme qu’elle avait remarqué tout d’abord. Penchée sur le cadre d’ivoire de sa broderie, elle savourait le contraste qu’il présentait avec son voisin. Le visage de cet homme était celui de l’orateur né : yeux rayonnants, nez hardi, bouche nerveuse, tout proclamait en lui l’éloquence et l’énergie et le désignait pour un rival de Cicéron parlant au Forum, avant de prendre la tête des armées pour marcher à l’empire. La décision, la force, l’intelligence qu’annonçaient ses traits et son attitude s’alliaient à une sorte de douceur hautaine. Hélas, un homme de si glorieuse prestance ne pouvait être que chrétien ! On se représentait, sur l’injonction divine, un aigle fondant sur son casque. Si riche et si impétueux était son sang, que les émotions conformes à son sujet se reflétaient sur son visage à mesure qu’il parlait, illuminant d’un silencieux éclair la diversité de son verbe abondant et universel. Le regarder, c’était l’écouter. Oui, il suffisait de le regarder. C’était un homme d’espèce nouvelle, de trace divine, et sa beauté dépouillant d’un seul coup de ses mièvres séductions le Bacchus Indien, le réduisait à l’état de poupée de cire, de hochet à paillettes, aux yeux de la jeune fille éperdue et soudain consciente, jusqu’au fond de son être, de sa qualité de femme. Elle se sentait de plus en plus petite, à mesure qu’elle le contemplait.

Soyez certains qu’elle sut du premier coup qui était cet homme. Elle affirme en vain le contraire, elle le savait. Son âme s’épouvantait à l’idée que ce fût Alvan, et redoutait à peine moins que ce