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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/42

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

— Tant ! c’est si peu que vous voulez dire ! Car le monde, je le quitte ou le retrouve à mon gré. Avec vous, il n’en ira pas de même.

Clotilde chercha en vain une riposte. Elle eût voulu se révolter contre ce ton d’autorité, mais ne parvenait pas à en prendre ombrage. L’attitude impérieuse de cet homme et le charme ondoyant de son sourire la soumettaient à une totale sujétion, malgré le péril qu’elle sentait à paraître trop vite répondre à ses avances hardies.

— C’est à Capri que l’on m’a pour la première fois parlé de vous, fit-elle.

— Et moi, j’y suis arrivé sept jours après votre départ.

— Vous connaissiez déjà mon nom ?

— Ne questionnez pas trop les sorciers. Voici la date : le 15 mars. Et vous étiez partie le 8.

— Oui, je crois m’en souvenir. Il y a un an de cela.

— Nous nous sommes manqués alors ; aujourd’hui, nous nous rencontrons. Une année perdue ; tout le temps d’une année ! Réfléchissez à cela, et songez à tout ce que vous me devez en compensation ! Je souhaitais tant un camarade à Capri. Pas « une jeune fille », et moins encore un homme ; la féminité intelligente, chose fort lointaine, d’ordinaire, de l’intelligence des femmes. Ce camarade, je le voulais jeune et beau, de votre sexe évidemment, mais pourvu de cœur et de compréhension, souhait que je tins pour insensé jusqu’au jour où j’entendis parler de vous. À votre défaut, je parcourus l’île en compagnie de Tibère, qui est mon tyran favori. Sur mon avis, nous prîmes l’offensive contre les patriciens, et les Annales furent rédigées,