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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/43

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

non par un membre du parti aristocratique, mais par un plébéien démagogue, qui fit de mon supplice, ordonné par l’empereur, un récit des plus pathétiques. Il excusait tour à tour mon impérial maître et moi-même, affirmant que le malentendu était irrémédiable entre nous, car nous nous aimions autant que nous détestions nos fonctions respectives ; comme l’homme appartient plus à sa charge qu’à lui-même, c’était évidemment la moindre part de son ami que chacun de nous aimait. Moi, le plus faible, j’étais donc condamné, comme l’eût été Tibère, si j’eusse été le plus fort. Je m’inclinai et lui fis tenir, avec mes adieux respectueux, des conseils pour se garder des assassins. Voyez, mademoiselle : en différant votre départ de sept jours, vous m’auriez sauvé la vie. Le fonctionnaire est toujours homme artificiel, et j’aurais dû savoir qu’il ne garde pas assez de naturel pour lutter contre sa fonction. Au surplus, je comptais sur l’attachement de l’empereur, oubliant que les princes ne sauraient être nos amis.

— Vous êtes mort bravement ?

Clotilde se prêtait au jeu avec une grande affectation de sérieux.

— Dites : simplement. Mon heure était venue et, sans attitude tragique, je laissai le fleuve de vie s’écouler de mes veines vers des rives moins étriquées. Oh ! Capri : mer de saphir, saphir du ciel ; on croit à la vie là-bas ; à l’heure même où son flot commence à descendre, on y vibre aussi ardemment avec la vie qu’à la marée montante dans notre Nord pâle et rabougri, dans notre climat du poisson séché. Sincèrement, je souffris plus de mourir une seconde fois, quand je sus qu’une Lucrèce à che-