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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/47

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

paraît-il. Signe que nos âmes sont accordées à l’unisson. Que diriez-vous si je vous comparais à Paris, au cœur de Paris, à Lutèce ?

— Il faudrait soutenir la comparaison.

Il rit et différa le propos, effleurant divers sujets, à la façon d’une hirondelle qui, au sortir du nid, plonge du bord du toit pour raser la surface d’une rivière. Il revenait sans cesse à elle, l’entraînait dans son vol, provoquait ses ardentes répliques, préparait par ses essais et coups de sonde le compliment suprême et unique dont ces communs essors devaient lui fournir les éléments.

Elle était comme une danseuse étourdie par la valse et que la vue, dans une glace, de son image tournoyante étonne et rassure à la fois. Il lui plaisait de s’entendre discuter, de s’entendre comparer, de trouver, dans cette analyse dont elle était l’objet, la certitude que c’était bien elle qui écoutait cet homme, ce parfait étranger qui la réclamait pour sienne, et à qui elle donnait son acquiescement en ne le repoussant pas ; elle se laissait entraîner par cette ronde vertigineuse et magique qui l’arrachait de plus en plus à son être réel pour lui imposer une personnalité imaginaire, qui la contraignait à avancer, en lui déniant le droit de faiblir, d’appeler le monde à l’aide et de se cramponner à lui, bien qu’il fût assez proche pour arrêter, à son geste, la terrible ronde. Le monde était tout proche, en effet, et commençait à ouvrir de grands yeux. Un peu effarée de cette curiosité, Clotilde se sentait pourtant en présence de l’irrésistible, et en face de l’irrésistible, la convention fait l’effet d’une construction lézardée, qu’un torrent balaye sans le moindre bruit de poutres brisées. Quiconque