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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

rant la paix, pour ce soir-là. Clotilde applaudit à la fidélité de sa mémoire, à propos d’un poème de Heine qu’il lui récita, et ils se lancèrent des vers de l’incomparable poète, transparent hydromel où perce parfois un goût acide et où le miel dissimule un aiguillon acéré. Tendresse, cynisme, scabreuses et chatoyantes incongruités se mêlent dans ces vers où se reconnaît la voix de la pure poésie, mais dont les éléments impurs font surtout la popularité, dans une société raffinée qui incline au libertinage par forfanterie autant que par goût naturel. Alvan, avec un mélange d’indolence royale et de royale malice, cita ce distique qui souligne l’inutilité d’une méchanceté dernière d’infidèle :

« Les baisers, c’était dans l’ordre,
Le coup de dent était de trop. »

Clotilde ne put s’empêcher de rougir. Le comte Kollin en avait trop dit. Elle baissa les yeux et son visage se figea. Mais cette éclipse fut passagère et l’entretien rebondit. Alvan lui fit grâce de l’allusion à Pompée : il appréciait une réserve qui s’alliait à tant d’intrépidité et la rougeur de Clotilde le flattait. À Kollin, elle pouvait faire part de ce qu’une rougissante sensibilité l’empêchait de lui dire à lui ; ce n’était pas, d’ailleurs, l’étroitesse d’esprit qui lui interdisait d’aborder tous les sujets. Alvan appréciait sa hardiesse autant que la froide curiosité qu’elle manifestait pour les choses des sens, mais il appréciait plus encore la distinction qu’elle établissait entre ses interlocuteurs.

Le signal du souper lui permit d’apprécier chez Clotilde une autre des perfections qu’il exigeait d’une femme. Assis côte à côte à table, ils burent