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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/54

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

ensemble un noble vin du Rhin, un vrai Rauenthal. Sa vigueur physique et morale faisaient souhaiter à Alvan que sa future compagne, sans rien sacrifier de sa grâce, fût pourtant pour lui, sans arrière-pensée et sans minauderie, un bon compagnon de plaisir ; verre en main, il prétendait exprimer avec elle sa gratitude au ciel prodigue et sa bienveillance envers les hommes. Une femme selon son cœur, s’il pouvait la découvrir, devrait répondre à ce rêve. Se faire, par une juste appréciation de ces dons, l’interprète de la bonté du ciel envers l’humanité, c’était un rôle qui lui convenait et dont il partageait, à son insu, le goût avec les Philistins, et avoir une épouse aussi sagace que lui sur ce trône temporel, c’était un espoir merveilleux. Clotilde sut pleinement répondre à sa joviale humeur de Salomon festoyant. Elle n’était pas dépourvue de discernement sur les bouquets des vins. Elle avait entendu, à la table paternelle, des connaisseurs formuler leur verdict sur tel et tel crû, et sacrifiait à cette forme de patriotisme qu’est dans son pays l’enthousiasme pour le vin du Rhin. Causerie et émotion l’avaient, au surplus, fort altérée ce soir-là. Elle vida donc son verre avec délices et déclara le vin royal. Alvan, ravi, battit des mains : « Alors vous n’appréciez pas cette décoction de raisin sec que l’on s’est mis à nous servir, à l’imitation du Sauternes, sous couleur de flatter le goût féminin pour le sucre ? »

— Non, non ! Donnez-moi la vraie grappe, le raisin du Rhin, tout gonflé de légendes, parfumé d’elfes et de luths d’argent.

— Admirable ! Il leva son verre : « Je bois au vin de la vigne, à la jeune épousée, fiancée enso-