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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/72

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

— J’attendrais.

— L’attente pourrait être longue.

— Je me rongerais le cœur.

— Nourriture amère.

— J’attendrais qu’il vous repousse et je m’agenouillerais devant vous.

Clotilde sentit son cœur se serrer. La ressemblance entre eux était décidément trop prodigieuse pour pouvoir être considérée sans trouble. La confuse impression d’un honteux asservissement lui donnait un coup dans la poitrine ; elle luttait contre elle-même et, s’attendrissant sur sa victime, lui ouvrait les bras. Le cajoler c’était adoucir la brûlure de sa propre plaie, car elle ne pouvait décidément ressembler si fort à un être qu’elle plaignait et consolait.

Elle était douce par charité. Que si on l’accuse de cruauté, on veuille songer aux faiblesses humaines et à la tentation que pouvait offrir un jeune homme prêt à souffrir mille morts pour un froncement de sourcil, ou à ressusciter pour un sourire. La sensibilité de Marko piquait Clotilde, comme la découverte de spécifiques destinés à rendre au corps sa vigueur exalte le brillant empirique : il nous tuerait avec aménité pour faire éclater le miracle de notre résurrection. L’adoration invite la déesse mortelle à donner de sa puissance des manifestations dont le dévot adorateur est plus qu’à moitié responsable.

Clotilde s’était mise à méditer sur le refus opposé par Alvan au rôle de centaure, et dans le terme d’homme quadrupède dont il s’était servi, elle trouvait matière à réflexion. Il entendait la conquérir légalement, après avoir exercé sur elle un empire