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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/78

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

préparé leur organisme à son absorption. Sans doute trouvent-ils bien amère et bien lourde cette drogue qu’ils avalent, pour en finir à jamais avec une gênante vétille, et qui fait d’eux pour toujours les dyspeptiques de l’amour. Bien rares ceux qui savent jusqu’au bout garder l’accent de leur exorde, en face d’une belle silencieuse, dont, au lieu de la protestation d’innocence angélique, au lieu de la rougeur, du flot d’indignation qu’ils attendaient, la pâleur dénonce douloureusement la culpabilité.

Il fallait la trempe robuste d’Alvan et son orgueil de vainqueur pour donner de la sincérité à son affirmation : « Je sais tout, mais qu’importe ? » Le silence même de Clotilde, qui reculait à l’infini les limites de ce « tout » pour le trop perspicace observateur qui avait déjà déduit nombre des traits de caractère de la jeune fille : impulsive, sans volonté, et assez encline au mensonge, ce silence même ne troubla pas Alvan. Il aurait pu faire remarquer que ce n’est pas une sainte qu’il cherchait, mais une compagne joyeuse, parfaitement féminine, et entièrement dans sa main, jeune, aimable, gracieuse et de bonne naissance. Qu’on la confiât à sa garde et son seigneur répondrait d’elle. Façon virile et généreuse d’envisager la situation, qui sied bien à la confiance robuste du vainqueur. Comment eût-il jugé, sous le coup d’une rebuffade, d’un refus ou d’une défaite ? Que fût-il advenu d’eux si les circonstances n’avaient pas prêté à Clotilde une allure d’héroïne et l’avaient empêché, lui, de faire à ses propres yeux, figure de héros ? Sages les mères qui soumettent leurs filles à une active surveillance, ne serait-ce que pour les préserver de la condescendante générosité de l’homme, — tant que l’âge, en