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Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/15

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Je ne veux citer que certaine histoire qui se trouve rapportée partout, et qui prouve avec quelle légèreté on admet tous les bruits les moins probables.

Environ un an avant la Saint-Barthélemy, on avait déjà fait, dit-on, un plan de massacre. Voici ce plan : on devait bâtir au Pré-aux-Clercs une tour en bois ; on aurait placé dedans le duc de Guise avec des gentilshommes et des soldats catholiques, et l’Amiral avec les protestants aurait simulé une attaque, comme pour donner au roi le spectacle d’un siége. Cette espèce de tournoi une fois engagé, à un signal convenu, les catholiques auraient chargé leurs armes et tué leurs ennemis, surpris avant qu’ils eussent le temps de se mettre en défense. On ajoute, pour embellir l’histoire, qu’un favori de Charles IX, nommé Lignerolles, aurait indiscrètement dévoilé toute la trame en disant au roi, qui maltraitait de paroles des seigneurs protestants : Ah ! sire, attendez encore. Nous avons un fort qui nous vengera de tous les hérétiques. Notez, s’il vous plaît, que pas une planche de ce fort n’était encore debout. Sur quoi, le roi prit soin de faire assassiner ce babillard. Ce projet était, dit-on, de l’invention du chancelier Birague, à qui l’on prête cependant ce mot, qui annonce des intentions bien différentes : que, pour délivrer le roi de ses ennemis, il ne demandait que quelques cuisiniers. Ce dernier moyen était bien plus praticable que l’autre, que son extravagance rendait à peu près impossible. En effet, comment les soupçons des protestants n’auraient-ils pas été réveillés par les préparatifs de cette petite guerre, où les deux partis, naguère ennemis, auraient été ainsi mis aux prises ? Ensuite, pour avoir bon marché des huguenots, c’était un mauvais moyen que de les réunir en troupe et de les armer. Il est évident que, si l’on eût comploté alors de les faire tous périr, il valait bien mieux les assaillir isolés et désarmés.

Pour moi, je suis fermement convaincu que le massacre n’a pas été prémédité, et je ne puis concevoir que l’opinion contraire ait été adoptée par des auteurs qui s’accordent en même temps pour représenter Catherine comme une femme très-méchante, il est vrai, mais comme une des têtes les plus profondément politiques de son siècle.

Laissons de côté la morale pour un moment, et examinons ce plan prétendu sous le point de vue de l’utilité. Or, je soutiens