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Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/16

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qu’il n’était pas utile à la cour, et de plus qu’il a été exécuté avec tant de maladresse, qu’il faut supposer que ceux qui l’ont projeté étaient les plus extravagants des hommes.

Que l’on examine si l’autorité du roi devait gagner ou perdre à cette exécution, et si son intérêt était de la souffrir.

La France était divisée en trois grands partis : celui des protestants, dont l’Amiral était le chef depuis la mort du prince de Condé ; celui du roi, le plus faible, et celui des Guises ou des ultra-royalistes du temps.

Il est évident que le roi, ayant également à craindre des Guises et des protestants, devait chercher à conserver Son autorité en tenant ces deux factions aux prises. En écraser une, c’était se mettre à la merci de l’autre.

Le système de bascule était dès lors assez connu et pratiqué. C’est Louis XI qui a dit : « Diviser pour régner. »

Maintenant examinons si Charles IX était dévot ; car une dévotion excessive aurait pu lui suggérer une mesure opposée à ses intérêts. Mais tout annonce au contraire que, s’il n’était pas un esprit fort, il n’était pas non plus un fanatique. D’ailleurs sa mère, qui le dirigeait, n’aurait jamais hésité à sacrifier ses scrupules religieux, si toutefois elle en avait, à son amour pour le pouvoir [1].

Mais supposons que Charles ou sa mère, ou, si l’on veut, son gouvernement, eussent, contre toutes les règles de la politique, résolu de détruire les protestants en France, cette résolution une fois prise, il est probable qu’ils auraient médité mûrement les moyens les plus propres à en assurer la réussite. Or ce qui vient d’abord à l’esprit comme le parti le plus sûr, c’est que le massacre ait lieu dans toutes les villes du royaume à la fois, afin que les réformés, attaqués partout par des forces supérieures [2], ne puissent se défendre nulle part. Un seul jour

  1. On a cité comme un trait de dissimulation profonde, un mot de Charles IX, qui ne me paraît au contraire qu’une boutade grossière d’un homme fort indifférent en matière de religion. Le pape faisait des difficultés pour donner les dispenses nécessaires au mariage de Marguerite de Valois, sœur de Charles IX, avec Henri IV, alors protestant : « Si le saint-père refuse, dit le roi, je prendrai ma sœur Margoton sous le bras, et j’irai la marier en plein prêche. »
  2. La population de la France était d’à peu près vingt millions d’âmes. On estime que lors des secondes guerres civiles les protestants n’étaient pas plus d’un