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Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/197

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lebardes des soldats qui les poursuivaient. Cependant, à l’une des fenêtres de son palais, on voyait, dit-on, Charles IX armé d’une longue arquebuse, qui giboyait aux pauvres passants [1].

Le capitaine, enjambant des corps morts, et s’éclaboussant avec du sang, poursuivait son chemin, exposé à chaque pas à tomber victime de la méprise d’un massacreur. Il avait remarqué que les soldats et les bourgeois armés portaient tous une écharpe blanche au bras et une croix blanche au chapeau. Il aurait pu facilement prendre ce signe de reconnaissance ; mais l’horreur que lui inspiraient les assassins s’étendait jusqu’aux marques qui leur servaient à se faire reconnaître.

Sur le bord de la rivière, près du Châtelet, il s’entendit appeler. Il tourna la tête, et vit un homme armé jusqu’aux dents, mais qui ne paraissait pas faire usage de ses armes, portant d’ailleurs la croix blanche à son chapeau, et roulant un morceau de papier entre ses doigts d’un air tout à fait dégagé. C’était Béville. Il regardait froidement les cadavres et les hommes vivants que l’on jetait dans la Seine par-dessus le pont au Meunier.

— Que diable fais-tu ici, George ? Est-ce un miracle, ou bien est-ce la grâce qui te donne ce beau zèle, car tu m’as l’air d’aller à la chasse aux huguenots ?

— Et toi-même, que fais-tu au milieu de ces misérables ?

— Moi ? parbleu, je regarde ; c’est un spectacle. Et sais-tu le bon tour que j’ai fait ? Tu connais bien le vieux Michel Cornabon, cet usurier huguenot qui m’a tant rançonné ?…

— Tu l’as tué, malheureux !

— Moi ? fi donc ! Je ne me mêle point d’affaires de religion. Loin de le tuer, je l’ai caché dans ma cave, et lui, m’a donné quittance de tout ce que je lui dois. Ainsi j’ai fait une bonne action, et j’en suis récompensé. Il est

  1. D’Aubigné, Histoire universelle.