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Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/261

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plexe en songeant aux bas de soie et à la tenue de rigueur.

IV.

Plusieurs personnes invitées chez madame de Chaverny s’étant excusées, le dîner se trouva quelque peu triste. Châteaufort était à côté de Julie, fort empressé à la servir, galant et aimable à son ordinaire. Pour Chaverny, qui avait fait une longue promenade à cheval le matin, il avait un appétit prodigieux. Il mangeait donc et buvait de manière à en donner envie aux plus malades. Le commandant Perrin lui tenait compagnie, lui versant souvent à boire, et riant à casser les verres toutes les fois que la grosse gaîté de son hôte lui en fournissait l’occasion. Chaverny, se retrouvant avec des militaires, avait repris aussitôt sa bonne humeur et ses manières du régiment ; d’ailleurs il n’avait jamais été des plus délicats dans le choix de ses plaisanteries. Sa femme prenait un air froidement dédaigneux à chaque saillie incongrue : alors elle se tournait du côté de Châteaufort, et commençait un aparté avec lui, pour n’avoir pas l’air d’entendre une conversation qui lui déplaisait souverainement.

Voici un échantillon de l’urbanité de ce modèle des époux. Vers la fin du dîner, la conversation étant tombée sur l’Opéra, on discutait le mérite relatif de plusieurs danseuses, et entre autres on vantait beaucoup mademoiselle ***. Sur quoi Châteaufort renchérit sur les autres, louant surtout sa grâce, sa tournure, son air décent.

Perrin, que Châteaufort avait mené à l’Opéra quelques jours auparavant, et qui n’y était allé que cette seule fois, se souvenait fort bien de mademoiselle ***.

— Est-ce, dit-il, cette petite en rose, qui saute comme un cabri ?… qui a des jambes dont vous parliez tant, Châteaufort ?