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Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/262

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— Ah ! vous parliez de ses jambes ! s’écria Chaverny ; mais savez-vous que, si vous en parlez trop, vous vous brouillerez avec votre général le duc de J*** ! Prenez garde à vous, mon camarade !

— Mais je ne le suppose pas tellement jaloux, qu’il défende de les regarder au travers d’une lorgnette.

— Au contraire, car il en est aussi fier que s’il les avait découvertes. Qu’en dites-vous, commandant Perrin ?

— Je ne me connais guère qu’en jambes de chevaux, répondit modestement le vieux soldat.

— Elles sont, en vérité, admirables, reprit Chaverny, et il n’y en a pas de plus belles à Paris, excepté celles… Il s’arrêta et se mit à friser sa moustache d’un air goguenard en regardant sa femme, qui rougit aussitôt jusqu’aux épaules.

— Excepté celles de mademoiselle D*** ? interrompit Châteaufort en citant une autre danseuse.

— Non, répondit Chaverny du ton tragique de Hamlet : — mais regarde ma femme.

Julie devint pourpre d’indignation. Elle lança à son mari un regard rapide comme l’éclair, mais où se peignaient le mépris et la fureur. Puis, s’efforçant de se contraindre, elle se tourna brusquement vers Châteaufort : Il faut, dit-elle d’une voix légèrement tremblante, il faut que nous étudiions le duo de Maometto. Il doit être parfaitement dans votre voix.

Chaverny n’était pas aisément démonté. Châteaufort, poursuivit-il, savez-vous que j’ai voulu faire mouler autrefois les jambes dont je parle ? mais on n’a jamais voulu le permettre.

Châteaufort, qui éprouvait une joie très-vive de cette impertinente révélation, n’eut pas l’air d’avoir entendu, et parla de Maometto avec madame de Chaverny.

— La personne que je veux dire, continua l’impitoyable mari, se scandalisait ordinairement quand on lui rendais