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Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/90

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Je pense que c’est pour la dernière fois que j’écris son nom : c’est une grosse femme encore fraîche, et, comme l’on dit, assez bien pour son âge, avec un gros nez et des lèvres pincées, comme quelqu’un qui éprouve les premières atteintes du mal de mer. Elle a les yeux à demi fermés, elle bâille à tout moment ; sa voix est monotone, et dit du même ton : Ah ! qui me délivrera de cette odieuse Béarnaise ? et : Madeleine, donnez du lait sucré à mon chien de Naples.

— Bon ! mais faites-lui dire quelques mots un peu plus remarquables. Elle vient de faire empoisonner Jeanne d’Albret, au moins le bruit en a couru, et cela doit paraître.

— Point du tout ; car, si cela paraissait, où serait cette dissimulation si célèbre ? Ce jour-là, d’ailleurs, j’en suis bien informé, elle ne parla d’autre chose que du temps.

— Et Henri IV ? et Marguerite de Navarre ? Montrez-nous Henri, brave, galant, bon surtout ; Marguerite glissant un billet doux dans la main d’un page pendant que Henri, de son côté, serre la main d’une des dames d’honneur de Catherine.

— Pour Henri IV, personne ne devinerait dans ce petit garçon étourdi le héros et le futur roi de France. Il a déjà oublié sa mère, morte depuis quinze jours seulement. Il ne parle qu’à un piqueur, engagé dans une dissertation à perte de vue sur les fumées du cerf que l’on va lancer. Je vous en fais grâce, surtout si, comme je l’espère, vous n’êtes pas chasseur.

— Et Marguerite ?

— Elle était un peu indisposée, et gardait la chambre.

— Bonne manière de s’en débarrasser. Et le duc d’Anjou ? et le prince de Condé ? et le duc de Guise ? et Tavannes, Retz, La Bochefoucauld, Téligny ? et Thoré ? et Méru ? et tant d’autres ?

— Ma foi, vous les connaissez mieux que moi. Je vais vous parler de mon ami Mergy.