Page:Merlant - Bibliographie des œuvres de Senancour, 1905.djvu/39

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avec ce mot : promontoire). On y voit que Sénancour manquait de richesse verbale et de souplesse ; il s’obstine, sans grand succès, à exprimer l’inexprimable : « L’accord universel appartient à l’immensité ; on le cherche parce qu’il doit être ; mais ce qui n’a pas de limites s’éloigne de nous, et manque d’évidence durant l’anxiété de nos jours précaires… Vingt années soumises aux coutumes de la société ne nous préparent qu’indirectement à comprendre des desseins plus dignes d’attention ; une heure de liberté au bord de l’océan nous en apprendrait davantage. Etranges murmures des mers, vous révélerez à des esprits plus avancés que les nôtres les longues et périssables destinées de notre globe jeune encore. —… Quelquefois même, invité par le péril et peut-être abusant d’un pressentiment heureux, on verrait avec joie les tempêtes, on demanderait aux vagues des émotions puissantes, on lutterait contre cette violence, on descendrait dans ces abymes, on voudrait ou un triomphe invraisemblable ou le réveil désiré. Mais il faut continuer la vie actuelle ; le réveil s’il nous est promis ne tardera pas. » Ceci encore, presque illisible à force de ratures : « Le calme des impressions habituelles conduit à voir dans le sommeil de chaque nuit quelque indice de l’inexplicable changement qui, au lieu de nous détruire, nous rendra le devoir plus clair sous une loi plus constante. » Et cette phrase étrange : « La mer peut nourrir à une profondeur où la sonde n’est point parvenue quelque espèce dont l’activité particulière balance nos arts, et qui, avec des facultés très différentes, n’ait pas même à envier l’aspect du ciel. »

19e Ajouté à la deuxième partie en juin 1835 : « Dans les siècles où on lisait rarement, chacun ne croyait qu’en ses propres peines, et peu d’hommes savaient que chez ceux qui sortent des limites de l’instinct la souffrance s’établit au fond du cœur. Elle est inévitable dans ses formes capricieuses : ou c’est un secret qu’on ne s’explique pas encore, ou c’est une blessure qu’il n’est pas d’usage de montrer. On se tait, on veut sourire, on doit jouer avec cette grâce le triste jeu du monde. En y entrant on se passionnait, et cette exaltation a produit une première tristesse : toute passion est une force qui s’égare… Au milieu des anciennes générations, lorsqu’on était jeune on connaissait, dit-on, le calme de l’âme ; mais cela ne se verra plus. On a pour ainsi dire l’expérience des choses sans l’avoir acquise soi-même