Page:Merlant - Bibliographie des œuvres de Senancour, 1905.djvu/41

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« Nous devons au passé tout ce que nous sommes ; la continuité de la vie n’est sentie que par les souvenirs <d ; et l’idée du lendemain nous vient d’eux. S’ils sont humiliants ils nous oppressent ; ils reculent l’accomplissement de notre destinée. Les autres peuvent le hâter au contraire, et souvent ils sont propres à nous instruire. Si de temps à autre, dans ces pages étrangères à tout dessein personnel, on trouve néanmoins une trace des journées où \e. ne renonçais pas encore à être quelque chose parmi les hommes, que Von m’excuse. L’oubli n’en sera pas moins mon partage. Nul ne cherchera dans les pays que j’ai pu traverser les vestiges de mes pas, et si quelqu’un y somjeait ce serait en vain. Les lieux m’ont vu, mais personne n’a su mon nom. » Je crois lire ensuite : « J’allais ainsi, ménageant l’avenir et ne voulant me résoudre à le perdre, occupé d’une attente plus particulière, que si la fortune l’exigeait positivement… » Sénancour reprend, toujours fidèle à la fiction du Solitaire, qui déguise une confession personnelle : « En quittant les lacs de la Lombardie j’eus à visiter une rive presque aussi riante. Des étrangers admiraient ces coteaux bien cultivés, ces bourgades rangées le long d’une plaine d’eau… Je passai avec indifférence… J’entrai par des sentiers difficiles dans un large pâturage qu’entouraient des pentes rapides et chargées de bois. Là je m’arrêtai comme on suspendrait sa marche en se retrouvant dans une douce patrie ignorée des grands peuples… C’était une image affaiblie des lieux que j’avais désirés vaguement dès l’époque de mes premières lectures. Ainsi se développent des idées fécondes suscitées dès l’enfance. »

24e (Des fautes irréparables). Ajouté au commencement, décembre 1835. « Nos penchants inquiets ou multipliés rendent difficile notre journée terrestre, parce qu’elle doit être pour la volonté une épreuve toujours laborieuse. Il faut que nous passions d’une loi informe à une loi plus avancée. Le calme de l’âme pourrait du moins accomplir ce grand dessein. Le trouble aurait pour effet d’éloigner la raison et de rendre à l’instinct animal toute sa violence. Cela s’est vu dans des moments de désastre chez des guerriers ou des navigateurs. La pensée peut oublier ses habitudes d’ordre et de retenue. Si le froid et la faim, si les maux sont

(1) Ici encore on volt se dégager la théorie romantique du souvenir ; à une phrase comme celle-ci se mesure la distance parcourue par Sénancour, depuis le temps où il accusait la mémoire, la faculté de conservation, de causer tous les maux humains. Cf. p. 15. 7e Rêverie de C.