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Page:Merrill - Poèmes, 1887-1897, 1897.djvu/227

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Celle qui a sonné des jeux de notre jeunesse
Alors que les rosiers n’étaient pas tous éclos
Au long des espaliers des petits jardins clos
Où nous connûmes l’amour, les chansons et l’ivresse.

Les enfants dont nous voudrions baiser, vieillards sans flamme,
La bouche où le joie vibre comme une abeille dans une fleur,
Nous regardent passer dans la crainte du malheur,
Comme si notre légende rouge épouvantait leur âme.

Car ils n’ont connu que la paix parmi les récoltes
Et le chant rassurant des alouettes dans l’azur ;
Leurs pères leur ont appris, l’œil louche et le verbe dur,
À craindre les trompettes annonciatrices de révoltes.

Celles-là mêmes pour qui nous serions morts au jour de gloire,
Les belles filles, nous fuient comme si nous étions des ours,
Parce que nous plions mal aux sourires et aux doux discours
Nos lèvres que crispait jadis le cri de la victoire.

Nous qui voulions annoncer aux veilleurs notre arrivée
Par les chants héroïques du passé, nous ne trouvons
Au fond de nos gosiers que des sanglots, et nous rêvons
Aux frères d’armes plus heureux qui sont morts à la corvée.