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Page:Meschinot - Les Lunettes des Princes.djvu/23

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LES LUNETTES

Boire, menger et dormir nous convient.
Nos jours passent, jamais ung n’en revient ;
Nostre doulx est tout confit en amer ;
Contre ung plaisir ou ung seul bien qui vient
Le plus heureux cent foys triste devient.
Ce n’est pas sens le monde trop aimer,
Et qui son cueur y met fait à blasmer :
Périlleux est à la terre et à mer.
Mais à bien peu à présent en souvient ;
Il paist le corps, et, pour l’ame affamer,
Bien le devons pour ennemy clamer.
Car qui le sert à double mort parvient.

Du temps passé peu nous esjouissons
Et du présent en dangier jouissons.
Las ! au futur avons petit esgart.
Tant que povons à la mort fuissons,
Jeux et esbatz voulentiers ouyssons,
Mais à l’ame n’avons jamais regard,
Ne aux meschiefs venons, dont Dieu nous gard.
Au corps servir employons tout nostre art.
Trop chèrement l’aymons et nourrissons.
Si nous souvient de Dieu, c’est sur le tart ;
Point n’avisons nostre piteux départ,
Et comme aprés en terre pourrissons.