Page:Metzger - Jean-Jacques Rousseau à l’île Saint-Pierre, 1877.djvu/10

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protection du maréchal d’Écosse, Georges Keith, quand un simple hasard le fixa à Saint-Pierre, dans cette île dont la solitude enchanteresse pouvait seule apporter quelque baume à ses chagrins et à son inquiétude. D’abord, il y arriva, s’isolant de tous et de tout ; puis, quand il s’y vit en paix, il fit venir successivement sa Thérèse, ses livres et ce qui lui appartenait. Il s’installa dans une chambre qui existe encore ; c’est une espèce de grande mansarde, qui n’a plus rien d’authentique que son plafond à solives, son poële de faïence, sa serrure, et ses murs de plâtre, tout déchiquetés par le couteau des visiteurs, désireux d’y graver leur nom. Dans ce réduit, il avait fait placer un lit, son pupître et quelques chaises ; ses livres, il les avait laissé emballés, tout heureux de n’avoir plus à s’occuper que des rêveries de sa pensée et de la contemplation de la nature, que personne, après lui, n’a mieux comprise, ni mieux aimée. Dès le point du jour il se levait, et son premier soin était « de courir sur la terrasse de l’île, humer l’air salubre et frais, et planer des yeux sur l’horizon de ce beau lac, dont les rives et les montagnes, qui le bordent, enchantaient sa vue. » (Confessions, Partie II, livre XI). Devant la magnificence des sites, qui se présentaient à ses regards, sa pensée s’exaltait, et son amour de la nature allait jusqu’à lui faire dire, qu’il n’est point de plus digne hommage à la Divinité que cette admiration muette, excitée par la contemplation de ses œuvres, et qui ne s’exprime point par des actes développés.

Après le déjeûner, qu’il venait prendre chez lui, il se hâtait d’écrire quelques lettres, en réchignant, dit-il, et aspirant de toutes ses forces au moment où, libre de sa