Page:Metzger - Jean-Jacques Rousseau à l’île Saint-Pierre, 1877.djvu/11

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personne, il reprendrait sa course d’hier, inachevée ou interrompue. Malheur alors si, à ce moment si précieux, un visiteur importun se présente au seuil de sa demeure ! Déjà la philosophe a reconnu le pas d’un étranger, il reste immobile ; la clef de sa chambre, qu’il retire, rend l’accès de sa porte impossible. Avec mille précautions il avance la tête, et, par un trou formé par un nœud de bois enlevé, il épie le moment où l’étranger s’éloignera quelque peu, pour se glisser, à pas furtifs, jusqu’au poële de faïence, que je vous signalais tout à l’heure. Là, il soulève un trappe (qui existe encore de nos jours), en ayant bien soin de ne pas faire crier la charnière, et, tout tremblant d’émotion, se laisse glisser sur le poële de la chambre inférieure. Cette chambre, aux parois de bois, sert aujourdui d’office au tenancier de l’hôtel ; c’est là que Jean-Jacques attendait que son visiteur fût éconduit, et qu’il épiait le moment où sa Thérèse viendrait l’avertir que tout danger de compagnie avait disparu. Avec quel bonheur le vieillard ne sortait-il pas de sa retraite ! Vous le voyez d’ici, avec sa robe d’arménien et son bonnet fourré, se promener au soleil, en portant son Linné sous le bras, se couchant par terre auprès de quelque plante, et l’examinant avec la patience et la curiosité d’un botaniste. Car il aspire à tout connaître, depuis le brin d’herbe jusqu’au chêne… que dis-je ? il veut faire une nomenclature complète de toutes les plantes de l’île, et déjà il caresse dans son esprit le titre un peu pédant de Flora Petrinsularis, qu’il donnera à son nouveau livre. Car la botanique était sa passion : c’est aux Charmettes, sous la direction de Claude Anet, qu’il avait fait ses premières herborisations ; plus