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CHEZ LAVOISIER

entièrement périmé ; ayons le courage de les abandonner une fois pour toutes afin de mieux prendre conscience de la réalité ; comme la méthode cartésienne dont elle est partiellement la continuatrice, la méthode Condillacienne exige donc une complète révision des valeurs scientifiques ; en chassant les éléments d’autrefois auxquels personne ne croyait plus Lavoisier ne fit aucune découverte remarquable ou sensationnelle ; il accomplit simplement ainsi, par hygiène morale pourrait-on dire, un acte de déblayage qui permit de mettre les nouvelles doctrines en pleine valeur.

Cependant, entre l’ancienne conception de l’analyse qui voulait résoudre les corps en leurs principes constituants — chacun de ces principes imposant au mixte dans lequel il entrait les qualités dont il est porteur — et la conception moderne de la décomposition qui veut extraire des corps complexes les divers ingrédients qui en se combinant à nouveau formeraient le corps primitif, il y a disparate très nette ; avec une remarquable pénétration, Chevreul a fait observer que jusqu’à l’œuvre de Lavoisier, cette opération toute logique et grammaticale n’était qu’une analyse mentale, une résolution en notions. La véritable analyse chimique ou séparation pratique des éléments indécomposables qui par leur combinaison formaient le corps primitif est tout autre chose. Est-ce à dire que les deux méthodes que le théoricien juge incompatibles, soient en effet réellement opposées, que l’analyse mentale éliminée en apparence par Lavoisier n’ait tenu chez lui aucune place, qu’elle n’ait pas subrepticement et partiellement dirigé sa philosophie de la matière ? C’est ce que nous examinerons plus loin.

Lié pratiquement ou théoriquement au problème de la composition chimique des corps se place le problème de la structure métaphysique ou mécanique de la matière ; les chimistes, on le sait ont joué un rôle important dans le renouvellement des théories atomiques, et l’un d’entre-eux Robert Boyle eut la gloire d’inventer le terme « philosophie corpusculaire » ; dès lors, la méditation du savant peut appliquer le concept d’élément soit à telle substance indécomposable en général (le soufre pour fixer les idées), soit à une quantité quelconque et indéterminé de cette substance (du soufre), soit à la plus petite particule (un atome de soufre) dont l’existence et le rôle sont posés aussi bien par la philosophie corpusculaire que par le système du monde newtonien alors agréé par tous. Certes, on peut avec Lavoisier rejeter vigoureusement avec une sagesse appa-