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Page:Metzger - La philosophie de la matière chez Lavoisier, 1935.djvu/26

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LA PHILOSOPHIE DE LA MATIÈRE

qui avec Paracelse, Van Helmont, Glauber, Beccher et bien d’autres ont voulu faire de leur science la clef de voûte de la théologie et de la cosmologie générale ; signalons seulement que depuis le triomphe incontesté du Newtonianisme les chimistes abandonnèrent allègrement les spéculations aventureuses dont l’audace et l’indétermination avaient si fort charmé leurs prédécesseurs immédiats… Non qu’ils fussent devenus indifférents au système du monde et à la philosophie ; mais ayant l’assurance tranquille que la loi d’attraction universelle enfin découverte et mise hors de doute, donnait une explication suffisante dans ces grandes lignes des phénomènes célestes et terrestres ainsi que de toutes les réactions matérielles, ils purent se consacrer entièrement à l’étude de ces réactions. Comme Candide, mais pour d’autres raisons que Candide, pour des raisons opposées à celles de Candide, car ils ne souffrirent d’aucune désillusion sur la puissance de l’esprit humain, ils cultivèrent leur jardin.

Et comment parvenir à voir clair dans ce jardin broussailleux, dans cette forêt vierge de réactions inattendues et particulières presque aux corps mis en présence au cours de l’expérience ? À cette question préliminaire Boerhaave, que le xviiie siècle admira à l’égal des plus grands et que Lavoisier lui-même cita avec respect répondit ainsi à propos des innombrables dissolvants ou menstrues qui enrichissent et encombrent la science. « Il est donc nécessaire de les rapporter à certaines classes dont chacune ait sa marque caractéristique. En même temps que cette méthode soulagera la mémoire elle nous mettra en état de ranger les nouvelles découvertes parmi des autres du même genre et déjà connues auparavant. C’est la le seul moyen de se tirer de la confusion dans laquelle cette multitude de menstrues nous jetteraient sans cette précaution ; et de parvenir à connaître la manière dont les uns agissent en les comparant avec d’autres qui sont de la même espèce. »[1]

Répondant à l’appel de Boerhaave, une armée de chimistes explorèrent et défrichèrent le domaine sur lequel ils travaillèrent ; ils découpèrent dans les broussailles, ils rangèrent et déplacèrent les diverses substances en profitant autant que possible des accidents naturels du terrain, afin que leurs successeurs et eux mêmes puissent se promener commodément dans les larges avenues lumineuses percées par l’effort doctrine], inséparable bien entendu de l’effort

  1. Newton, Stahl, Boerhaave, p. 300.