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Page:Metzger - La philosophie de la matière chez Lavoisier, 1935.djvu/27

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CHEZ LAVOISIER

pratique ; les chimistes firent alors œuvre de classificateurs autant qu’œuvre de découvreurs de faits. Au moment où Guyton de Morveau aidé de Lavoisier, Fourcroy, et Berthollet entreprit de renouveler le vocabulaire de la chimie, afin que la théorie chimique se réduise à une langue bien faite, ce travail préliminaire et obscur d’exploration et de classification patientes était presque mené à bonne fin. Sans quoi l’entreprise Condillacienne d’abord critiquée sévèrement n’aurait pu aboutir à une aussi éclatante victoire.


Nous devons ici faire une remarque importante qui nous a été suggérée par M. Aldo Mieli. Le progrès du sentiment de la nature, le goût des cabinets d’histoire naturelle, l’intérêt de plus en plus vif que le xviiie siècle eut pour l’étude détaillée des animaux et des plantes, de chaque animal et de chaque plante dans sa structure particulière, avait provoqué avant ou en même temps que la philosophie de Condillac, des essais de classification raisonnée des êtres vivants qui ont une très grande valeur et qu’au début du xixe siècle l’on put confondre comme Cuvier avec la science elle-même. De même l’étude de chaque pierre, de chaque minerai, de chaque cristal naturel invita les minéralogistes, cristallographes ou chimistes à ranger les corps dont ils s’occupaient en de forts élégants tableaux où la forme et la composition permettaient de déceler les liens de parenté. Il s’agissait alors de saisir d’un coup d’œil « l’ordre de la nature » ou « le plan de la création ».

Vers la fin du xviiie siècle les sciences de la nature tout aussi bien que la chimie s’orientèrent donc vers des recherches statiques aboutissant à des classifications rationnelles, que depuis Linné et malgré les protestations de Buffon et autres dynamistes, la masse des chercheurs fixa comme but à son activité ; le mécanisme de la formation des animaux, des plantes, des minéraux, et des réactions matérielles elles-mêmes fut alors laissé de côté. Romé de l’Isle déclara éloquemment que notre perspicacité serait nécessairement en défaut si nous voulions préciser l’action par laquelle au sein du monde infiniment petit s’élabore la succession des phénomènes constatés à notre échelle et notamment la naissance et la formation du cristal, bref que tout savant qui voudrait « substituer les rêveries de notre imagination au silence de la nature sur les premiers principes » aboutirait à un échec, juste châtiment de son orgueilleuse ambition. — Hauy, que Romé de l’Isle traite dédaigneusement de