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CHEZ LAVOISIER

plus profondément dans la philosophie de la matière chez Lavoisier : si le calorique est impondérable, si l’on doit renoncer à mesurer sa quantité à l’aide du critère universel de vérité fourni par la balance, si l’on doit le considérer comme un être exceptionnel, cela ne signifie-t-il pas qu’il est le corps le plus important de la nature ? La réponse à cette interrogation nous est fournie par le plan même des éléments de chimie ; l’ouvrage qui promettait d’être si facilement accessible s’ouvre par un chapitre intitulé : des combinaisons du calorique et de la formation des fluides élastiques aériformes. Et immédiatement nous quittons le monde usuel pour nous attacher aux problèmes les plus ardus qui sont situés aux frontières de la physique et de la chimie ; mais lisez le chapitre ; il n’est plus question de combattre victorieusement les théories atomiques, ou de déclarer dédaigneusement que les conceptions moléculaires sont métaphysiques ou indéterminées[1]. Mais bien au contraire, il nous faut avec Lavoisier proclamer l’existence de particules indépendantes dont l’assemblage forme les corps ; nous admettrons encore que ces particules sont plus ou moins écartées par la chaleur, qu’elles ne viendraient au contact les unes des autres que dans le froid absolu qui nous est inaccessible, bref « que les molécules d’aucun corps ne se touchent dans la nature ; conclusion très singulière et à laquelle cependant il est impossible de se refuser. On conçoit (continue Lavoisier) que les molécules des corps étant ainsi continuellement sollicitées par la chaleur à s’écarter les unes des autres, elles n’auraient aucune liaison entre elles, si elles n’étaient retenues par une autre force qui tendît à les réunir, et pour ainsi dire à les enchaîner ; et cette force quelle qu’en soit la cause a été nommée attraction »[2]. Mais si la chaleur peut faire obstacle à l’attraction, si elle écarte les molécules, si elle liquéfie et vaporise les corps primitivement solides, c’est que la chaleur est due à un corps. « Il est difficile (en effet) de concevoir ces phénomènes sans admettre qu’ils sont l’effet d’une substance matérielle, d’un fluide très subtil qui s’insinue à travers les molécules de tous les corps et qui les écarte »[3]. C’est donc en fonction d’une théorie corpusculaire et dans un monde Newtonien que Lavoisier a été contraint par la position même du problème à introduire la notion de calorique.

  1. Voir plus haut, p. 12.
  2. Vol. I, p. 3.
  3. Vol. I, p. 4.